À LA RENCONTRE DE FRANÇOIS MILLO
Directeur du Conseil Interprofessionnel des Vins de Provence, Auteur, photographe
Le vin rosé, c’est le champagne des vins tranquilles
Je suis un homme doublement heureux
Le Cahier du Tourisme Varois : Dans Le Pays du vin, réputé pour ses appellations célèbres, et au moment où la concurrence mondiale augmente, développer les Vins de Provence n’était pas un pari gagné d’avance, n’est ce pas ?
François Millo : Non, cela n’a pas été facile du tout mais il y a deux faits importants qui ont révolutionné et contribué au succès actuel des Vins de Provence. Je crois que les vins de Provence se sont réveillés dans les années 80, c’est à cette période que les vins rosés clairs et aromatiques ont été « inventés ». Jusqu’à présent, les vins rosés étaient des vins aux arômes de fruits rouges, leur couleur était foncée. Avec l’arrivée d’un nouveau procédé, la macération et la fermentation à froid des vins rosés clairs et aromatiques aux arômes de de fleurs et d’agrumes ont vu le jour. Les années 80 marquent également l’arrivée de la cuisine du monde et par conséquent, celle de la diversification des vins rosés, pouvant se marier avec cette cuisine très diversifiée. Le consommateur a alors cherché des vins qui lui apportent avant tout du plaisir au palais. Par ailleurs, dans les années 60 – 70, de nombreux sommeliers professionnels ont codifié la consommation du vin rouge.
A partir des années 90, un certain refus du dogme s’est affirmé et avec lui, une révolution dans l’art de consommer le vin rosé et le vin rosé est devenu un vin de plaisir comme le champagne. D’ailleurs, le vin rosé c’est le champagne des vins tranquilles, on appelle vin tranquille un vin sans bulle. Le viticulteur a pris acte de cette révolution en 1990. C’est à ce même moment que je suis arrivé à la direction du Conseil Interprofessionnel des Vins de Provence. Les rosés de Provence ont représenté en 2014, 32% de la consommation française, les vins blancs 17% et les rouges 51 %.
Le vin rosé, un vin de liberté
CTV : Près de 90% des Côtes de Provence sont des vins rosés. La production et la consommation de ces derniers augmentent sensiblement en France. Êtes vous donc un homme heureux ?
FM : Je suis un homme complètement heureux, sa progression est à la limite de l’incroyable. Je suis un homme doublement heureux pour le passé déjà : il faut savoir que le vin rosé est une vieille tradition provençale et il est le plus ancien des vins, déjà dans l’Antiquité, puis plus tard, le rosé fut le vin des Rois, le vin de l’Aristocratie. Le vin rouge était considéré comme une nourriture donnée aux travailleurs, durant des siècles jusqu’au Moyen Âge. Le vin rosé perd sa notoriété puis, plus tard, avec la venue des congés payés en 1936, les français viennent en vacances en Provence et redécouvre le vin rosé. 90% de la production des vins de Provence sont des rosés, c’est énorme ! cela impose aux producteurs un énorme gage de qualité, où tous les efforts sont concentrés sur le vin rosé. Je suis un homme heureux pour l’avenir aussi, car la Provence a vraiment les moyens de prendre son avenir en main. Il lui faudra continuer d’innover, prendre de l’avance technique, d’où l’importance du Centre de recherche sur le Rosé. La Provence doit jouer collectivement au niveau de la Région.
CTV : 90% des consommateurs boivent du rosé. On met en avant les changements de consommation pour expliquer cette tendance. Ne faut-il pas y voir aussi une volonté de s’affranchir de certaines traditions ou usages autour du vin? – Sans parler du gros travail réalisé par les producteurs sur la qualité…
FM : Évidemment, le vin rosé est un vin de liberté, c’est un vin qui n’a pas subi la codification du vin rouge. Les femmes savent très bien s‘affranchir de cette codification, elles ont une sincérité, une spontanéité dans la découverte et dans le plaisir du vin que n’ont pas les hommes. Le vin rosé c’est d’abord du plaisir et ensuite de la connaissance. C’est aussi l’un des vins les plus complexes à élaborer. Les producteurs ont fait un gros travail d’amélioration de la qualité. Il y a énormément d’étapes dans la fabrication d’un vin, différents maillons, et c’est ce maillon faible qui est le plus déterminant dans la qualité.
Dans le Var, nous disposons d’un réseau important d’oenologues conseils, et chacun participe individuellement à améliorer constamment ce maillon
faible et par conséquent, le processus de la fabrication du vin. Il faut également choisir une ligne de conduite, redéfinir la Provence, lier le rosé à La
Provence afin de devenir leader dans le domaine du rosé à travers des opérations et des stratégies de leader dans tous les domaines de la recherche, de
l’observation de l’économie, des rencontres internationales.
CTV : La Chambre d ‘Agriculture avec votre soutien et votre collaboration a mis en place la Route des Vins, Le Tourisme Vigneron et ses balades gourmandes, ce sont des façons inédites de découvrir le Var, de faire du tourisme n’est ce pas ? Et cela a dû demander un travail colossal pour coordonner les 430 vignerons concernés, non ?
FM : Il y a plus que 430 domaines, il y a 600 domaines au total : 540 caves particulières et 60 caves coopératives et 40 sociétés de négoce. Cela représente 160 millions de bouteilles, et nous place parmi la 3è ou 4è région de France d’appellation d’origine. Il a fallu beaucoup de patience et de ténacité … Le but du CIVP n’est pas d’organiser des opérations locales, mais de favoriser et aider les producteurs, parler un langage commun. La Route des Vins est un partenariat énorme avec ces producteurs. En Provence, le touriste ne vient pas uniquement pour découvrir le vin. Il n’est plus un visiteur passif mais un acteur de son propre itinéraire, il choisit son hébergement, son restaurant, sa visite et sa dégustation au domaine grâce à un site internet interactif multifonction entièrement dédié à la Route des Vins, c’est son originalité, il laisse au visiteur la liberté de construire sa visite à sa guise. Il y a une véritable synergie entre Tourisme et viticulture. L’objectif de La Route des Vins de Provence n’est pas de devenir aussi célèbre que ses grandes soeurs bordelaise et bourguignonne, ni de les concurrencer. La Route des Vins de Provence est différente des Routes des Vins Alsace, Bourgogne, Bordeaux qui sont des routes strictement viticoles.
CTV : Le marché américain pour les VDP se développe de façon importante. Sincèrement, aviez-vous rêvé meilleurs ambassadeurs qu’Angelina Jolie et Brad Pitt ?
FM : Je m’en réjouis, avec les changements de goût des consommateurs américains, Les USA représentent le premier marché d’exportation des Vins de Provence, d’où l’importance de l’innovation : 46% en valeur et 35% en volume en 2014. Les résultats sont ahurissants ! Sincèrement, Angelina Jolie et Brad Pitt n ‘auraient pas investi dans le Domaine de Miraval, s’ils n’avaient pas pris confiance aux Vins de Provence.
CTV : Après 25 années à la Direction du CIVP, vous allez tirer votre révérence pour vous livrer à vos deux grandes passions : la photographie et l’écriture.
FM : j’ai adoré ces 25 années passées au sein du Conseil Interprofessionnel des Vins de Provence, En fait, j’ai trois grandes passions : ma première grande passion ce sont les conférences sur le Vin et sur la sociologie du Vin, j’aime synthétiser, analyser et présenter les idées. En France, le passage
à la retraite est parfois trop brutal, et on manque cruellement de transmission du savoir acquis. Il faut transmettre le savoir, transmettre l’expérience, c’est primordial. Ma deuxième grande passion est la photo d’art : j’adore la photographie, j’exposerai d’ailleurs mon travail du 15 juillet 2015 au 15 août 2015 au Château de Rasque à Taradeau, j’expose également des grands formats de photos au restaurant le Mug’s à Saint Raphaël.
J’ai pour principe de ne jamais photographier des personnages qui posent ou des mannequins. J’aime photographier des personnes de tous les jours dans des situations insolites inédites, prises au dépourvu. J’ai beaucoup voyagé au Brésil, aux États Unis, j’ai fait beaucoup de photographies là bas. Ma troisième grande passion c’est l’écriture. J’ai écrit au total 8 livres et mon dernier recueil qui vient de sortir est une nouvelle qui s’intitule «Camille, histoire autour du vin rosé». Dix nouvelles dont une qui se déroule dans le haut Var, une à Paris, une au Brésil, avec des personnages qui n’ont aucun lien entre eux : Camille, qui est un hommage à ma femme, un moine, une terroriste, une fée. Le fil rouge entre ces dix nouvelles bien évidemment c’est le Vin Rosé.
« Il faut savoir tourner une page résolument, La Provence est une belle histoire, l’histoire viticole au CIVP est une très belle histoire. »
CTV : De votre Provence natale, puisque vous êtes né à Brignoles, de votre enfance passée dans le Var, quel est votre plus beau souvenir, votre Madeleine de Proust ?
FM : En fait, j’en ai deux : premier souvenir : mon père qui était Directeur des Eaux et forêts, avait une maison forestière au Dramont à Saint Raphaël. Lorsque j’étais enfant, il y a très longtemps 😉 j’ai passé trois semaines de vacances dans cette maison. Avec mon père, nous partions pêcher ensemble dans une petite barque. Et aujourd’hui je vis et je réside à Saint Raphaël et je vais toujours pêcher avec mon fils comme je le faisais, il y a 50 ans avec mon père. C’est un fil rouge qui semble se transmettre de père en fils. Nous sommes également dans l’agronomie de père en fils. Mon deuxième plus beau souvenir : Ce sont ces 25 années au sein du CIVP et ma rencontre avec ma femme Nathalie. J’ai vécu à Brignoles jusqu’à l’âge de 18 ans. Ensuite, je suis parti à Paris….Puis après des années de vadrouille à travers le monde, je suis revenu en 1990 en Provence, pour prendre la direction du Comité interprofessionnel des Côtes de Provence. Quinze jours après, je rencontrais celle qui devint et qui est toujours mon épouse depuis 25 années ; vigneronne, d’origine bourguignonne, aujourd’hui elle fait du Vin Rosé ! C’est une très belle histoire ; d’ailleurs, Camille raconte sa propre histoire.
La Provence m’a fait un très beau cadeau …
CTV : En conclusion, selon vous, Le Var est-il une terre de bonheur et de talents ?
FM : Oui j’en suis persuadé. Le Var est une terre très riche en imaginaire, en ouverture d’esprit, il favorise ainsi les talents qui viennent s’y installer. Le Var une terre de création. Et la création apporte le bonheur.