Bien avant de devenir l’épicentre du tourisme mondain et des fêtes estivales, Saint-Tropez fut un havre de paix et une muse pour l’une des plus grandes plumes de la littérature française du vingtième siècle. Loin de l’effervescence actuelle, le village de pêcheurs a offert à Colette un cadre idyllique où son génie littéraire a pu s’épanouir, laissant une empreinte indélébile. C’est dans ce décor provençal, entre la mer et les vignes, qu’elle a tissé certaines des pages les plus sensuelles et introspectives de son œuvre, forgeant un lien éternel entre son nom et ce coin de la Côte d’Azur.
Table des matières
Colette et son lien avec Saint-Tropez
L’arrivée d’une icône littéraire
Lorsque Sidonie-Gabrielle Colette découvre Saint-Tropez au milieu des années 1920, elle est déjà une écrivaine reconnue et une personnalité parisienne en vue. Pourtant, c’est un tout autre univers qu’elle vient chercher. À cette époque, le village n’est qu’un modeste port de pêche, préservé du tumulte et de la modernité. Elle y trouve une authenticité et une simplicité qui la séduisent immédiatement. Ce n’est pas une visiteuse de passage ; elle décide de s’y installer, marquant le début d’une relation de treize ans avec ce territoire qui deviendra le sien.
Une relation fusionnelle avec la nature provençale
Plus que les mondanités, c’est la nature exubérante de la presqu’île qui captive Colette. Elle développe une passion pour la flore locale, les senteurs du maquis, la lumière si particulière du golfe et les plaisirs simples de la vie au grand air. Ses journées sont rythmées par le jardinage, les baignades et les longues promenades. Cette immersion sensorielle dans le paysage provençal nourrit profondément son inspiration et contraste vivement avec l’agitation de sa vie à Paris, lui offrant un équilibre vital.
Une figure de la vie locale
Colette ne s’est pas contentée d’observer Saint-Tropez ; elle en est devenue une actrice. Vêtue simplement, souvent pieds nus, elle se mêle aux pêcheurs sur le port, fait son marché et noue des amitiés sincères avec les habitants. Elle participe à la vie du village, loin de l’image de la femme de lettres inaccessible. Cette intégration lui permet de capter l’âme véritable de Saint-Tropez, une âme qu’elle saura retranscrire avec une justesse et une poésie inégalées dans ses écrits.
Ce lien profond, presque charnel, avec le village et ses paysages ne pouvait que transformer Saint-Tropez en un puissant moteur de création pour l’écrivaine.
Saint-Tropez : source d’inspiration pour Colette
Un décor pour ses romans
Le village et ses environs ne sont pas un simple arrière-plan dans les œuvres de Colette ; ils en sont des personnages à part entière. La mer, les jardins ensoleillés, les ruelles ombragées et l’atmosphère unique du port deviennent le décor vivant de ses récits. Elle puise dans le quotidien tropézien la matière de ses descriptions, conférant à ses textes une vérité et une force d’évocation rares. Saint-Tropez devient sous sa plume un symbole de liberté et de retour à l’essentiel.
La sensualité des lieux
L’écriture de Colette est célèbre pour sa sensualité, et la Provence en est l’un des plus beaux catalyseurs. Elle excelle à décrire les sensations que le lieu éveille : la chaleur du soleil sur la peau, l’odeur des pins mêlée à celle des embruns, le goût des fruits gorgés de soleil, le chant des cigales. Tout son art consiste à traduire cette expérience sensorielle en mots, invitant le lecteur à ressentir Saint-Tropez autant qu’à le lire. Cette approche fait de ses textes provençaux une célébration des plaisirs terrestres.
Une bulle de créativité loin de Paris
Saint-Tropez représentait pour Colette une véritable bulle, un refuge loin des obligations sociales et des cercles littéraires parisiens. Ce calme et cet isolement relatif lui ont permis de se consacrer entièrement à son travail d’écriture. C’est dans cette tranquillité qu’elle a pu développer une introspection profonde, explorant des thèmes comme le temps qui passe, l’amour et le renoncement, avec une maturité nouvelle.
Cette inspiration foisonnante a trouvé son point d’ancrage dans une demeure qu’elle a façonnée à son image, un lieu devenu mythique.
La Treille Muscate : le refuge tropézien de Colette
L’acquisition d’un havre de paix
En 1925, Colette fait l’acquisition d’une petite maison de pêcheur dans la baie des Canebiers, alors isolée et sauvage. Elle la baptise « La Treille Muscate » en hommage à la vigne qui court sur sa façade. La maison est modeste, mais elle offre l’essentiel : une vue imprenable sur la mer et un grand jardin à cultiver. Ce lieu devient son sanctuaire personnel, un espace de liberté et de création où elle passera tous ses étés jusqu’en 1938.
Un jardin comme extension de l’œuvre
Le jardin de La Treille Muscate est bien plus qu’un simple passe-temps pour l’écrivaine ; il est une obsession, une passion, et une extension de son univers littéraire. Elle y plante avec soin des dizaines de variétés de fleurs, d’arbres fruitiers et de légumes. Ce jardin, qu’elle décrit avec amour dans ses textes, est un laboratoire du vivant où elle observe la nature et médite sur le cycle de la vie. Il est le cœur battant de sa maison et de son inspiration provençale.
Le quotidien à La Treille Muscate
La vie de Colette à La Treille Muscate était rythmée par des rituels simples et immuables qui favorisaient la concentration et le bien-être. Ses journées se décomposaient souvent ainsi :
- Le matin était consacré à l’écriture, dans le calme de sa chambre ou sur la terrasse.
- L’après-midi était dédié au jardinage, aux baignades dans la mer et à la sieste.
- Le soir, elle recevait quelques amis ou profitait de la quiétude des lieux.
Cette discipline de vie, choisie et aimée, lui a permis de produire une part significative de son œuvre.
Ce refuge n’était donc pas seulement un lieu de villégiature, mais bien l’atelier où sont nés plusieurs de ses chefs-d’œuvre.
Les œuvres écrites par Colette à Saint-Tropez
« La Naissance du jour » : un hymne à la Provence
Publié en 1928, La Naissance du jour est sans doute le roman le plus emblématique de sa période tropézienne. L’intrigue se déroule entièrement à La Treille Muscate, et le livre est une méditation poétique sur l’âge, l’amour et la nature. Colette y brouille les frontières entre la fiction et l’autobiographie, mettant en scène son propre personnage et sa relation avec les animaux, les plantes et les paysages qui l’entourent. C’est une déclaration d’amour à sa maison et à la Provence.
Autres écrits majeurs
La quiétude de Saint-Tropez a été propice à la rédaction de plusieurs autres ouvrages importants. Durant son séjour, elle a écrit ou finalisé des textes qui ont marqué sa carrière, parmi lesquels :
- La Seconde (1929), un roman sur la complexité des relations conjugales.
- Sido (1930), un magnifique hommage à sa mère, rédigé dans le calme de son refuge.
- Prisons et paradis (1932), un recueil de textes où la Provence est célébrée comme un éden.
- Duo (1934), une analyse fine de la jalousie et de la vie de couple.
Production littéraire de la période tropézienne
Le séjour de Colette à Saint-Tropez fut l’une de ses périodes les plus fécondes. Le tableau suivant récapitule quelques-unes des œuvres majeures liées à ces années.
| Œuvre | Année de publication | Lien avec Saint-Tropez |
|---|---|---|
| La Naissance du jour | 1928 | Entièrement inspiré et situé à La Treille Muscate |
| La Seconde | 1929 | Écrit en partie dans sa maison des Canebiers |
| Sido | 1930 | Rédigé dans le calme tropézien, propice au souvenir |
| Prisons et paradis | 1932 | Célèbre la Provence comme un « paradis » retrouvé |
Ces livres, imprégnés de l’esprit des lieux, ont solidement ancré le nom de Colette dans l’histoire du village.
Héritage littéraire de Colette dans le village
Une empreinte indélébile sur l’identité de Saint-Tropez
Avant de devenir la capitale du tourisme de luxe, Saint-Tropez a d’abord été une capitale des arts, et Colette a joué un rôle majeur dans cette transformation. En choisissant de s’y installer, elle a attiré dans son sillage de nombreux autres artistes, écrivains et intellectuels, contribuant à forger l’identité culturelle du village. Elle a révélé au monde un autre visage de Saint-Tropez, celui d’un lieu d’inspiration et de création authentique.
Le regard de Colette sur l’évolution du village
Colette fut aussi un témoin lucide des changements qui commençaient à affecter son paradis. Vers la fin des années 1930, lassée par l’afflux croissant de touristes et le développement qu’elle jugeait excessif, elle décide de vendre La Treille Muscate. Son départ en 1939 sonne comme un adieu à une époque révolue. Ce regard critique sur la « rançon du succès » de Saint-Tropez apporte une perspective nuancée et précieuse sur l’histoire du village.
Colette dans la mémoire collective
Malgré son départ, l’esprit de Colette n’a jamais vraiment quitté Saint-Tropez. Elle demeure une figure tutélaire, une pionnière qui a su voir la beauté du lieu avant tout le monde. Pour les amoureux de la littérature et pour de nombreux Tropéziens, elle incarne une âme, un âge d’or où le village était encore un secret bien gardé. Son héritage est celui d’un regard, d’une sensibilité qui continue d’influencer la perception que l’on a de ce lieu mythique.
Cet héritage n’est pas seulement une affaire de mémoire ; il est activement entretenu et célébré par le village aujourd’hui.
L’hommage perpétué à Colette à Saint-Tropez
Le parcours « Sur les pas de Colette »
Pour faire vivre sa mémoire, Saint-Tropez propose aux visiteurs et aux habitants de marcher littéralement dans les pas de l’écrivaine. Un parcours culturel a été mis en place, notamment dans le cadre des Journées du Patrimoine, permettant de découvrir les lieux qui ont marqué sa vie ici : le port, la citadelle, et bien sûr les abords de la baie des Canebiers où se nichait sa maison. Ces initiatives, comme le projet « Saint-Tropez Couleur Bleu », transforment le village en un musée à ciel ouvert.
Célébrations et événements culturels
La ville ne manque jamais une occasion de rendre hommage à sa plus célèbre résidente littéraire. Des expositions, des lectures publiques et des conférences sont régulièrement organisées. Le 150e anniversaire de sa naissance, en particulier, a été l’occasion de multiples célébrations, rappelant l’importance de son passage et de son œuvre. Ces événements culturels montrent que Colette n’est pas une figure du passé, mais une source d’inspiration toujours vivante.
Distinctions et reconnaissance
L’hommage rendu par Saint-Tropez s’inscrit dans une reconnaissance nationale et internationale du génie de Colette. De son vivant déjà, elle fut couverte d’honneurs, témoignant de son statut d’icône :
- Décorée de la Légion d’honneur dès 1920, elle sera promue jusqu’au grade de grand officier.
- Élue à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique en 1935.
- Première femme à présider la prestigieuse Académie Goncourt, à partir de 1949.
Ces distinctions rappellent pourquoi la mémoire d’une telle personnalité est si précieusement conservée.
L’histoire entre Colette et Saint-Tropez est celle d’une rencontre fusionnelle entre une femme libre et un lieu encore sauvage. Elle y a trouvé l’inspiration pour écrire des œuvres majeures, tandis que le village a gagné une ambassadrice littéraire éternelle. À travers sa maison, La Treille Muscate, ses romans et les hommages qui lui sont rendus, l’esprit de Colette continue de flotter sur le golfe, rappelant qu’avant les yachts et la foule, il y avait la poésie d’un jardin face à la mer.








