Francis Marmier : un jardin extraordinaire

Le jardin La Fossette au Lavandou

On aurait presque envie de chantonner, en sautillant d’un pas léger, une très célèbre chanson de Charles Trenet, C’est un jardin extraordinaire …

Un jardin extraordinaire
Loin des noirs buildings et des passages cloutés
Y avait un bal qu´donnaient des primevères
Dans un coin d´verdure deux petites grenouilles chantaient …

Le portail est toujours ouvert aux visiteurs de passage. C’est un jardin extra-ordinaire. Il date du XIXe siècle. Ce n’est pas un jardin d’agrément, non. Un jardin agricole – oui, j’ai bien dit « agricole »  –, en terrasses superposées comme des mille-feuilles de pierre, qui dominent la grande bleue d’Ayguebelle, comme sur les côtes de la Riviera italienne.
Son inspirateur ? Un « facteur cheval poète » des jardins, Francis Marmier, pierre après pierre, de ses propres mains, y a construit sa demeure, il a restauré une à une ses restanques de pierre sèche que des ouvriers agricoles italiens du XIXe siècles avaient initialement dressées et qui s’effondraient, abandonnées par le temps.
Ce n’est pas une grande maison présomptueuse mais elle est juste assez vaste pour abriter ce jardinier hors norme, un passionné acharné – plutôt un esthète , un artiste qui ne fait pas dans le superflu, qui ne cherche surtout pas à plaire et qui est presque, parfois, un peu sauvage, un peu rebelle.
Les murs de sa maison sont constitués de vieilles pierres de la colline de Pramousquier qu’il a lui même taillées, des pierres d’un beige-rose argenté agrémentées de serpentine, une roche d’un beau bleu-vert profond un peu religieux que des copains archéologues avaient récupérée sur une ancienne ruine au Pardigon, à Cavalaire, et lui avaient rapportée …

Appareil en pierre
– C’est vous qui aviez construit cette maison et toutes ces restanques ?
Son regard s’illumine et je sens qu’il s’apprête à me livrer un secret.
– Oui, mais c’est très facile et très rapide à monter, des murs de pierre, vous savez, me dit il avec humilité, il suffit de trouver de grosses pierres d’angle et de les tailler à la main.
Il y vit seul. Son jardin, c’est un peu les enfants qu’il n’a pas eu. Un jardin fait de plantations méditerranéennes et exotiques : les terrasses supérieures sont plantées d’oliviers et d’arganiers rapportés du Maroc, d’orangers, de citronniers, de kumquats à profusion, de succulentes, de cycas, de glycines, d’echiums et de boules de Tillandsia Bergeri accrochées partout, suspendues sur les troncs des arbres, sur les poutrelles, absolument partout : ici et là, il y a des rideaux de bambous, de petites mares vertes de feuilles de nénuphars miniaturisés, des grenouilles, des Strélitzias, des Graciullas, des cactus géants – en bref, un jardin à la Prévert, plein de poésie et de désordre joyeux, de couleurs et de fraîcheur.
– Francis, quel a été votre métier durant votre vie active ?
À ce moment-là, il me dévisage, ahuri par ma question :
– Quel métier ? Vous ne le savez pas ? Vraiment ? J’ai été chirurgien-dentiste, chirurgien-dentiste dans le Sahara, de 1962 à 1986 !
– Chirurgien dentiste !!! Comment en êtes-vous arrivé aux jardins  ?
– Je faisais des jardins depuis l’âge de douze ans, à Saint-Clair, avec mes parents.

CactusFrancis Marmier me confie qu’il est un grand collectionneur de cactées depuis l’âge de douze ans, âge auquel il a commencé son premier jardin botanique.
Dans une serre sont installées les cactées américaines, obtenues par semis ou par échange, qui doivent être protégées du gel. Des sentiers de calades provençales qu’il a lui même créés, comme des dédales labyrinthiques, nous conduisent aux multiples terrasses de part et d’autre d’un escalier en pierres patinées, érodées par les années, toutes moussues. Dans des recoins intimes trône un vieux fauteuil, à la plus belle place, face au soleil. Escalier du jardin de F. MarmierC’est ici, à l’abri des regards, que cet homme, exténué par sa journée passée à creuser et à bêcher la terre, daigne enfin se reposer.
– C’est que j’ai presque l’âge de la retraite, dit il avec beaucoup d’humour ; j’aurai 80 ans à la fin de l’année.
– Ça conserve jeune, les jardins !
– J’ai la plus grosse collection de Tillandsia bergerie de la région, c’est une catégorie qui résiste au froid, au gel des hivers un peu rudes. En revanche, une année, en 1985 (?), le froid a détruit toutes mes plantations d’agrumes, et j’ai tout replanté.
– Vos agrumes sont cultivés en bio ?
– Je n’y apporte que de l’engrais naturel du fumier, ainsi que des herbes que je laisse sécher, et rien d ‘autre.
– Combien de temps faut il pour faire un jardin comme le vôtre ?
– Il faut trente ans. Trente ans, ça passe vite, vous savez !! Ce jardin, à force de mérite, a enfin été classé par la DRAC. Mais ce jardin existait avant moi. Il appartenait à un Belge (c’est pour cela qu’un petit drapeau belge flotte, d’ailleurs ; maintenant, je comprends pourquoi), et ces terres, de Saint-Clair jusqu’à Pramousquier, appartenaient à Madame Mazurier au XIXe siècle.

Jardin F. MarmierIci, tout est beau, terriblement beau de simplicité, de sérénité. Rien ne vient troubler ce jardin hors du temps, si ce n’est la route où ronronnent maintenant les moteurs de voitures. Autrefois, un petit train passait le long des restanques pour collecter les récoltes de fruits et de fleurs –tout se vendait, il ne restait rien ; c’était Le Macaron, appelé plus
communément le Train des Pignes (en provençal, le macarron, c’était le charbonnier). Aujourd’hui, la culture sous serre signe le déclin de la culture des terres agricoles de Saint-Clair.
En nous conduisant à l’endroit qu’il pense être le plus beau de son jardin, le point culminant où on peut embraser du regard la profusion de ses plantations d’agrumes, il nous dit, en nous montrant un eucalyptus énorme qui noircit un peu la vue panoramique plongeant dans la mer : « Vous voyez cet arbre ? C’est anormal qu’on ait laissé faire des choses pareilles : on plante n’importe où, n’importe quoi. Et toutes ces constructions, là, qui viennent gâcher ces enfilades de caps ; eh bien, un certain Barnier, un ancien préfet, l’avait prévu, cela. Mais la loi de protection du littoral est arrivée trop tard, hélas ».
– Votre jardin est vraiment magnifique, j’en suis tombée amoureuse.
– Ce n’est pas un jardin d’agrément, vous savez, c’est un jardin agricole.
– Francis, qu’est ce qu’a un beau jardin, selon vous ?
Et, là, avec un regard empli de pertinence, il me lâche tout de go :

« Un beau jardin, c’est la Route des Crêtes ; un beau jardin, c’est là où l’homme n’a pas encore posé sa main. »

Jardin F. Marmier

Entretien et textes réalisés et écrits par Nadège MOHA

Biographie : Francis Marmier, Le Jardin exotique, La Fossette, Le Lavandou

Pharmacien de son premier métier et après une carrière en Afrique, Francis Marmier est revenu au Lavandou, où, depuis quarante ans, il est à la fois agriculteur, jardinier reconnu et pêcheur. Érudit et animé d’un souci de préservation du patrimoine tant botanique qu’archéologique, il est le principal historien de la commune du Lavandou. Il était en effet le mieux placé pour jeter les fondements d’une histoire du Lavandou et pour l’insérer dans celle de la Provence maritime. Il a d’ailleurs consacré un ouvrage qu’il a écrit, intitulé « Le Lavandou ».
Ses attaches terriennes, l’ancienneté de l’implantation de sa famille, la profession de son père, poissonnier en gros, ainsi que son intime connaissance des vieux pêcheurs et de leurs procédés donnent à son travail l’authenticité d’un témoignage sur une époque révolue. Il est également l’auteur d’ouvrages archéologiques sur le campement préhistorique de Bordj Mellala (Ouargla, Algérie) et de nombreux articles parus dans des revues botaniques.